Sil & anses

Sil & anses

ISBN 2-85446-395-1, Janvier 2006, 11.5×18, 48p., 15 Euros

Collections “cahiers & cahiers”

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[accordion-item title=”English”]
Emerging from silence, art is also the creation of silence. To create is to produce, to fashion a new silence. It is also working against silence, since it is at once the space/circumstance allowing that work, and a silence that is a refusal to produce. A perpetual battle, an infinite cycle.

Sil & anses also constitutes the unfurling of a fantastical narrative where the charcter I. Mann (‘I’, in Persian) actually sees the clinical decomposition of a body, perhaps his own. Always curious, he continues to witness the unfettered destruction of a body, and a being. A stunned cry of despair. A schizography. Or is it, after all, just another tale…

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[accordion-item title=”En Français”]
L’œuvre, emergeant du silence, est aussi la création du silence. Œuvrer, c’est produire: c’est silencer – ou créer; c’est aussi cesser de créer. Le silence est à la fois un espace/circonstance propice d’œuvre, et un silence refus de production, refus d’œuvrer.

Ainsi, le silence: l’écriture mène vers le désir de ne plus écrire. Ce desire méne au silence, d’où l’on façonne, encore, l’oeuvre: une lutte perpétuelle, un cycle infini.

“Sil & anses” est aussi une experience intérieure. Le personage, I. Mann (‘je’ en persan, ‘homme’, en anglais), mène l’observation clinique d’un corps qui tombe hors de lui. L’intérieur et l’extérieur se mêlent, son crane s’écroule, son corps se dégrafe. Toujours curieux de savoir la suite, il demeure spectateur fasciné de sa propre mise en pieces. Une schizographie, un cri étonné de douleur,[/accordion-item]
[accordion-item title=”Excerpt”]
L’étrange cas de I. Mann s’impose à mon esprit sans la moindre provocation, je commence à écrire. I. Mann enfonce dans le creux de ses yeux une plume qu’il vient de placer dans l’encrier. Il arrache ensuite ses yeux et les dépose, tranquillement, sur sa table. Le sang commence à couler sur ses jambes, descend jusqu’à sa nuque et sur sa poitrine et coule sur son ventre, dénudé. Des contortions annoncent l’élancement d’un rituel ou d’un autre. Le cou baissé, les bras pliés, les cheveux hérissés, Mann lève haut un marteau qu’il avait saisi et commence à écraser ses yeux. Le sang explose dans tous les sens, et les pièces minuscules éclatent dans les confins de l’atelier. Malgré cette violence, il demeure étrangement, obscènement, singulièrement, calme. Il se r’assoit, place la plume dans l’encrier – incroyablement, ni l’un ni l’autre n’avait bougé après le coup de marteau – et, avec une redoutante précision, l’applique à une première feuille blanche qu’il prend du tas placé à gauche de la table. Il froisse ensuite la feuille, penche son cou à l’arrière, place la boule de papier dans sa bouche et l’enfonce dans sa gorge. Il allonge alors ses bras et cherche, consciemment, stratégiquement, délibérément, la plume, qu’il utilise alors comme plongier pour enfoncer le morceau davantage dans son œsophage et le système gastronomique interne. Et ce n’est guère là que la chose va se terminer, non, puisqu’il continue à enfoncer dans sa gorge – et pousser davantage dans l’œsophage à l’aide de la plume – tous les papiers qu’il prend soin – je vois les méticuleux mouvements de ses doigts, et les ardents, et révélateurs, tremblements de son poignet – de tâcher de traces! Et un autre enfoncement! Et un autre saisissement de feuilles blanches et un autre tracement et un autre enfoncement! Et un autre! Et un autre! Hébété face aux événements, continuant mon récit avec le plus terrible des frémissements, décrivant mon témoignage avec le plus sordide des tremblements, je me sens dorénavant incapable de me déplacer ou d’avoir recours à un quelconque moyen que la vie jusque là m’a présenté. La raison, l’imagination, la prière même – que d’ailleurs j’avais toujours omis des listes des possibilités, soyons francs! – ne faisaient preuve que de l’incapacité de notre espèce en matière de pénétration du mystère! Pas un rêve ou un cauchemar, ou un exercise dans le domaine ésotérique, non! Aucun recours, à quelconque discipline, à quelconque science, ne peut prétendre à une compréhension de ces fantasmagoriques déroulements! I. Mann sait-il donc qu’un voyeur saugrenu le guette? Un showman, après tout, ce confrère? Un magicien qui va bientôt enfoncer sa main dans cette même gorge et en tirer un long cordon de papier qu’il révélera petit-à-petit – suite à laquelle il saluera et inclinera la tête et on rigole tous et on applaudit, et voilà, fin du spectacle? Loin de là, pâle lecteur, loin de là! Au contraire, le poète – il n’aurait pu prétendre à un autre statut, j’en étais certain! – ce façonneur d’univers, ce supreme griffonneur, pose un premier pas sur sa chaise, lève sa deuxième jambe et la place elle aussi sur la chaise, et s’installe en position de Grand Besoin, comme si souffrant à l’extrême dans un terrain sablonneux! Non, m’écriais-je intérieurement, impossible! Mais si. Si et si. Très possible même. Il pousse des hénissements et lache quelques bruyants pets – son visage rougit, son corps durcit – jusqu’à ce qu’une masse de papiers encrés commence à jaillir, par petites morcelles, de son anus! Il continue, pousse, force, gémit, hennit, et un autre lot sort. Il continue, et pousse, et continue et pousse, et continue, et pousse, et un autre, bientôt, et un autre, et un autre, jusqu’à ce qu’un petit mont s’accumule et que, finalement, il lève une patte, la pose par terre, fait de même avec l’autre et quitte le lieu, le monticule de papier toujours assemblé sur sa chaise! Immobile – immobilisé, devrais-je insister – je remarque dorénavant qu’aucun morceau de crotte n’a accompagné le papier et que, miraculeusement, ce qui est sorti, n’est même pas crotté – ou merdique, si l’on veut! Quelle surdouée manifestation, me dis-je! Quelle bravissime détermination! Quel inimaginable développement! Quel impondérable accouchement! Quel immaculé délivrement! Quelle – culottée – conception![/accordion-item]

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