Kobolierrot

Kobolierrot

ISBN 2-85446-281-6, 03/00, 14×21, 568p., 198F

Collections “Planètes”

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[accordion-item title=”English”]

Revolutionary epic that reflects the contemporary plurality of cultures, situations and literary genres, in a new and rejuvenated French language. Kobolierrot is divided into seven songs (‘chants’), each of which is in turn divided in seven sections, creating a multiple mirror-like structure. Indeed, Kobolierrot constitutes the writing of the attempts of an imaginary scribe to fashion the story (and history, playing on the double meaning of ‘histoire’ in French) of a single moment. In turn, this writer proceeds by creating texts of various imaginary poets and artists. Through the union of three cultures, three mythologies and three literatures, through the osmosis and metamorphoses of voices and discourses, it is not only the philosophy of an Instant that is depicted, but the cartography, if one may say, of a very precise Cry: one that provoked the final blows that led to the regime change in Iran in 1978-79 and cemented the revolution. Kobolierrot thus attempts to create a genuine ‘ars poetica’, one that is in constant performance of its many principles and tenets: the writing, of scriptoral invention itself.

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[accordion-item title=”En Français”]

“Un vagabond voyageur, un écrivain jongleur de mots, un théoricien-créateur jusqu’à la pointe de la plume… tous les genres littéraires se mêlent les uns aux autres dans une harmonie parfaite. C’est une langue nouvelle que nous découvrons…. Son œuvre intéresse déjà la Sorbonne parce que c’est du jamais vu.” Julie Pavillon, Stoody.com

A travers l’union de trois cultures, trois mythologies et trois littératures, Kobolierrot tente de constituer un traité de poétique: l’écriture de l’invention scriptorale elle-même.

Avec un titre déjà composite formé des noms de trois personages – Pierrot, Bozo le clown américain, et Kolanamadi, figure du folklore persan – Kobolierrot engendre un déroulement et dépliement textuel qui s’engage avec une multiplicité de genres littéraires et où règnent les osmoses et les métamorphoses des voix et des discours.

Divisé en sept chants, chacun desquels est à son tour divisé en sept sous-sections, créant une structure miroitante et labyrinthique, l’ouvrage se déploie dans une langue française recomposée réinventée.

Kobolierrot, qui “marche sur les trottoirs du monde”, est à la fois le narrateur et le narré, le fabulateur et son personage. Personnage mythique et mystique, débardeur de mots, funambule et trapéziste, et qui roule syntaxiquement sur les collines des formes et des genres, Kobolierrot est affabulateur et voyageur, et voyage, conte et mystère, magicien malgré lui, mage, être fragmenté, œuvre fragmentée, portant en lui, en elle, les clameurs et les rires. Exilé de l’exil, Kobolierrot, mage, voyou, prophète railleur, perturbateur du convenu, appréhende et établit des relations nouvelles avec le monde qui ouvrent à des visions lointaines et inconnues. Marcheur solitaire, il dénonce les mirages dans une poétique du silence traversé pa un sourire.

Avec l’interaction dans les profondeurs du livre de trois langues, c’est aussi la philosophie du Moment qui est tracé, une cartographie d’un cri précis: celui qui aurait été émit au cours d’une manifestation lors de la révolution iranienne, celui donc, qui aurait signé, la Révolution.

L’oeuvre porteuse d’énigmes dessine ainsi le dérisoire du monde, avec un regard tendre sur la misère des hommes

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[accordion-item title=”Excerpt”]

Excerpt 1:

C’est dans la Salle une autre oui, dans une Salle. Nul n’ose lever la tête, le doigt, le bras, nul ne hausse le ton, ni pour marquer quelconque désaccord, ni pour communiquer sa foi. Ils ne savent ni applaudir, ni maudir, et s’efforcent, en plus, de retenir toute évaluation, tout jugement, de refouler toute intervention, bellicose, ou admirative.

Le Maître, néanmoins, s’en lasse. L’air d’autant plus distingué certes, mais également déconcerté, il lève le bras, le redescend, au ralenti, et obtient le silence qu’il demande.

‘Messieurs,’ adresse-t-il son auditoire, assis sur le sol, adossé de tout le tour, contre des coussins, sur des tapis précieux (bien nourris, en plus, les Présents, le lieu bourré de délices, de parfums exotiques, de pâtisseries divines…), ‘cela fait des jours qu’en ma présence, et de mes fines expériences, vous avez pu jouir de sagesses sans égal, résérvés jadis aux adeptes de sectes divers, qu’en ce jour je refuse de reconnaître, préférant en ces lieux diffuser cette lumière parmi les anonymes, les masqués, la foule…’

Il se tait momentanément, sa voix s’élève, le ton déconcerté davantage, démenti par l’indifférence qu’il ressent régner dans la salle.

‘Je ne vous demande guère l’épanchement des dévots, ni la huée des révoltés: mais en ces lieux tonnèrent à l’instant les éblouissances de l’Invisible, ici se révélèrent à vous les mystères de l’Infini, se dévoilèrent en votre présence (face à vos respectueux aveux), l’Enigme des Parcours. Certes, je demande, et avec moi mes collègues en cette noble vocation, l’attention, le silence, l’écoute. Mais voici maintenant des journées entières que n’émane de vous, d’entre vous, le moindre son, le moindre murmure. Vous auriez sûrement été mal informé, dangereusement conduit: nous sommes en quête de votre Illumination – et non pas de votre Abdication! Osez, chers amis, osez différer!’

Le Maître se rassit. Malgré ses incitations, malgré l’invitation, personne n’ose déjouer ce mutisme aisé. Même ici, parmi les marginaux, les révoltés, les gardiens, de l’avant.

Mais, au fond de la salle, un autre, frêle et moribond, timidement, se lève. Tous les regards se portent sur lui. Et le Maître lui-même, qui ne pensait avoir invité un tel défi, est surpris de voir ce Levant.

‘Seigneur,’ commence celui-ci, ‘en votre présence ces dernières nuits, ne furent vos auditeurs ni méprisants oppresseurs craignant les échos de vos enseignements au Peuple, ni envahisseurs fréquentant votre humble logis. Ni érudits rangés, gémissants ou perfides, irrités par vos appels, tentant d’obombrer votre voix, ni une bande d’incrédules préparant l’échaffaud.

‘Non, Seigneur, ni ennemis inflitrant votre office, ni missionnaires courant les rues disséminant la Voie. Face à vous s’offre un groupe de vagabonds, enquêteurs, qui parcourent en silence vergers et collines, déserts et océans: voguant sur les écumes, naviguant les plaies – Embruns sans Demeure.

‘Face à vos sagesses, nous n’éprouvons ni conforts, ni secousses: nous ne reconnaissons guère les tremblements, non plus quelconque hautaine sérénité. Ainsi, notre Silence… Car, Maître, où l’on prononce Sagesse, nous comprenons aussi, Duperie. Où l’on crie: Infini, rions-nous également: Toreaumerde! Et quand on nous dit: Mystère, nous entendons, aussi: Cessité!

‘Ni l’un, ni l’autre, Maître, ne suffit pour convaincre: désireux mais ricaneurs, voyants mais barbares: notre voie s’allume et s’éteint par les mêmes phares. Croyez-moi, ce ne sont guère vos paroles, radicales qu’elles soient ou mesurées ou mal-fondées, qui nous énivrent: ni enlassés, ni épris: fascinés et fatigués, certes, c’est là notre voie: l’écoute et l’abandon– là, notre aventure: car, où l’un parmi nous écrit: Vérité – celui-là même peut écrire: Mensonge.’

Au fond de la Salle, triste et triomphateur, tel l’anachronète (et ses fables!), c’est lui, lui-même, Kobolierrot, qui prononce ces méchantes paroles.

***

Excerpt 2:

Je suivais la petite troupe dans les coulisses de ce monde: tac tac les pas, un deux un deux, les ténèbres illuminés par les échos des chants du bazar, tac tac un deux, dans ce couloir, interminable, à gauche, à droite, à gauche: les bras s’étendent et se tiennent les mains ces nouveaux pèlerins, dirigés par le parfum d’autres mondes – alors que les vieillards en spectateurs se détournent (connaissant la malédiction qui les accable en cas de tentation), épeurés, abattant les murs à coup de poing, et les mères se détachent et reviennent s’effondrer sur les dalles (celles qui ne pouvaient s’abriter contre les monuments désignés), et le toit (où d’autres s’étaient accrochés comme des chauve-souris), et les murs, aux pieds desquels d’autres Demeurants se plient. Les âmes errantes, amis errants, continuent ce chemin désormais tracé: tac tac un deux se dirigeant vers la lumière, au fond, la sortie, dressée à leur insu: je suivais ce pèlerinage, attiré par ces feintes lumières, dictant le prochain geste: ils se tenaient les mains, comme des enfants à l’école, sans maître ni maîtresse: et, au fur et à mesure que les premiers parvenaient à cette sortie, et disparaissaient dans la lueur, dans cette feinte lueur, les applaudissements s’élevaient dans les confins du bazar, et, encore, à la sortie progressive des suivants, les cris des bonheurs, les refrains d’enthousiasme, les rires: et l’écho tonitruant de l’ensemble, des quatre coins, le bonheur, face à l’expulsion, longtemps retardée, de ces indésirables. Et le redressement progressif des couchés, des pliés, des assis, suit la sortie finale de la Troupe, et l’ouverture des stands, la montée des rideaux, le déballage encore, les présentations animées des bijouteries, des confisseries, l’appel aux promotions, les tissus, les assiettes, les petits mensonges, les marchandages, les murmures aux oreilles des rapprochés, et les garçons poussant devant eux les charrettes, les autres pliés à terre portant sur leurs dos des tas inimaginables, aussi bien que leurs chagrins. Ils applaudissaient tous le départ de ces créatures, leurs sourires revenaient, le calme, la paix, ‘nos’ manières, ‘nos’ mœurs: l’entrée future leur étant barrée, les célébrations dans les enceintes commençaient discrètement, la participation se multipliait, et tous s’évertuaient enfin de jouir pleinement de ce renvoi permanent des provoquateurs: et les vers levés, les annonces faites, les applaudissements retentirent encore, les hourahs et les félicitations, les étreintes, les étreintes bien forts: la célébration, une célébration pleine, avait enfin éclaté, fêtant enfin le départ, incontournable, de ceux qu’on daignait nommer, les Aveugles…

J’étais donc le dernier témoin de cette orgie, pure orgie, de bonheur. Inégalée dans ces lieux, une brève enquête en fit preuve. Cette troupe qu’on ne pouvait plus admettre, qu’on ne pouvait tout simplement plus soutenir: qui ne cessait de répandre les péchés, qui n’arrêtait de proposer les pires calomnies, parmi ces êtres fragiles que sont les enfants: apôtres des malfaisances et des découvertes, prophètes de tous les maux terrestres: inutile présence au sein d’une société sans marasme, pure et claire, et qu’ils contamineraient davantage si l’expulsion n’avait pas lieu, et qu’il était temps d’agir, d’agir enfin, le pire des débâcles les attendant si cela ne se produisait pas aussitôt. Il le fallait, maintenant, insistaient-ils, et me regardaient, de haut en bas, la dernière menace, le dernier regard, le dernier dénudement.

J’étais le dernier témoin de ce lynchage et, ainsi, de la collaboration immédiate qui suivit, de la danse des cercles, des chants, des séances de détente absolue, de paix que l’on arrivait à lire sur les visages, triomphe enfin de leur espèce…

Je quittais ces lieux, je ne me retournais guère, aucun adieu, aucun regret, aucun soupir. Les pèlerins se donnaient à la colline, les mains détachées, libres enfin: le groupe s’avançait lentement, les errements étant permis, chacun s’aventurait dans une direction, chacun menait le groupe, revenait sur ses pas, se perdait, revenait, suivait un autre qui s’égarait sur un chemin inconnu, poursuivait, s’élançait derrière un autre sur un sentier, et un autre, et un autre, introuvable. On se dispersait enfin, s’absentait, des années entières, s’abandonnait aux vents, revenait désormais, saluait les confrères, et s’élançait de nouveau vers d’autres rivages, chez d’autres riverains, toujours anonymes.

Je suivais donc le pèlerinage des aveugles: et la troupe descendait lentement la colline…

A la cabane d’un ermite, parmi les feuillages, invisible, introuvable, le premier frappa et attendit: l’ermite ouvrait poliment, invitait ses confrères et expliquait enfin le premier mystère: certes, le bazar…

La compagnie remercia l’ermite, le salua et s’élança encore sur la colline: une pente raide, un seul sentier, étroit, qui menait, on le pensait bien, à la vallée. Tous se remirent les uns derrière les autres, il n’y avait de la place que pour un sur ce chemin, on se tenait de derrière, la main tendue, petite locomotive à tchou tchou: de temps en temps, le premier las, le dernier glissait à l’avant, tous se reposaient quelques instants et on reprenait la route. Longue descente des vagabonds, sur ces chemins menacés de bandits, de charlatans, de démons déguisés: longue descente de la colline, des heures et des journées entières, sans sommeil, sans nourriture: mais la vallée recherchée ne s’offrait pas, demeurait visible que des hauteurs: et cette interminable descente ne donnait sur aucune ouverture. Aucune rencontre, aucune, où sommes-nous, où…

Un paysan, enfin, derrière son âne, montant lentement cette même côte, nous barra la route: il tenait un bâton qu’il n’utilisait guère, ni lui ni l’âne, ni l’un ni l’autre éprouvant la moindre hâte: d’autant plus que l’animal était chargé de quelques sceaux, de chaque côté, et de deux petits tapis sur le dos, qu’il portait avec sérénité, dôté de son calme toujours inouï, replié sur soi et clairement interdisant à tout étranger l’option d’une approche – ou d’une caresse. Le pèlerin à l’avant, après avoir offert les salutations, interrogea ce bonhomme sur l’ampleur de la colline, et l’emplacement du village de la vallée, bien visible pourtant d’en haut, mais, en tout état de cause, inaccessible.

Le paysan de la colline (un Maure, de toute apparence, j’en étais certain) bouscula son âne, lui donna deux coups aux côtés, et s’avança vers son nouvel interlocuteur: il portait son petit chapeau de villageois, des pantoufles et une longue chemise blanche qui lui arrivait aux genoux. Sa voix, dorénavant, et la transformation qui se produisit en son être au moment de sa première articulation, surprit l’assemblée. Il s’avançait, effectivement, lentement. Et il est vrai que, la question posée, la réponse n’en fut pas pour autant déchiffrable: en route encore la première, en route: le petit jamais n’obéit, le petit jamais ne périt:

Abandonnez donc cette quête futile, Misérables! il s’exclama soudain, les révélations ne vous ont-elles pas convenues!? N’êtes-vous pas suffisamment ahuris face à cette expulsion historique, qui n’a d’égal et n’en aura, ni même parmi les plus célèbres de notre civilisation? Ils fêtent votre départ avec une verve inconnue, dans leur temple, savez-vous? Les cailloux aussi s’y mettent, et les petites pierres: les bracelets de Madame, les colliers, la lampe, et la créature du conte, des récits, les auteurs d’illustres épopées là réunis, là assis, chantant votre disparition à la nouvelle mélodie du maître du citare, le Seigneur même! O comment les serpents charmés tels des anges égarés courtoisement s’enfilent aux cous, aux chevilles, aux baisers des sorciers extatiques! Unicornes et sirènes, le corbeau, le renard, la tortue et le lièvre, tout un bestiaire de fables et de poèmes a été convoqué à cette majestueuse occasion! Tous se tiennent et dansent autour du feu, levant les jambes, levant les bras, fous de joie, s’allongeant, se caressant, se touchant, O misérables pèlerins! Savez-vous pourquoi le savez-vous! Ils fêtent votre départ, malheureux, ils fêtent votre incontournable expulsion! Comprenez-donc l’édit des halles, comprenez-le: n’allez pas vous enfoncer dans l’abysse des audaces! Retournez, suivez-moi, un refuge vous a été réservé! Vous y cultiverez votre jardin, vous y ferez la récolte et, la saison venue, vous aborderez les chars qui vous on été réservé, vous emballerez vos fruits, vos légumes, tous vos goudizes, les charcuteries diverses que vous aurez l’occasion de fabriquer, des bêtes nécessaires vous étant gracieusement offert par sa Majesté, vous emballerez tout ceci dans des caisses, vous planterez les caisses sur les petits chariots et vous ferez le petit chemin à la porte de la coulisse (d’où l’on vous a rejeté justement!), où les autorités vous remercieront, vous remettront la récompense de votre dure besogne, et vous enverrons gracieusement (toujours gracieusement) aux terres où vous vous mettrez à nourir les époux, les épouses, et les enfants. Que de mieux que cette tranquilité! Et je vous vois ainsi en queulele décrochant, fuyant le destin réservé! On ne vous a pas foutu à la porte pour que vous inventiez d’autres petites histoires enfin! N’allez pas chercher la petite bête! Faites comme on vous dit et tout le monde sera tranquille! Ne vous mettez pas comme ceci à l’avant-garde: il y a un avant-garde en haut, et il en porte même le nom! Que voulez-vous de plus! Soulagez-vous et dites-vous que vous l’avez échappé bel: on aurait bien pu vous aligner et vous faire subir le petit sort réservé à vos camarades de jadis! Hein, le Sort! Vous vous en souvenez bien: sur les toits, dans les cours dans les plaines de ce monde un homme deux, voilà l’instant et comme ils comptent, comptent, un, deux, et comptent – et la tempête des balles: n’oubliez point ce repère historique: il vous fera bien réfléchir! Ou le devrez, en tout cas! Allez, allez, demi-tour et hop là, le monde de l’Invisible refuse la venue des pèlerins!

Les paroles du Maure s’entendirent haut et fort par la troupe des aveugles: et pendant que ceux-là en une seule voix réfutèrent le propos de leur bourreau masqué, celui-ci tenta dorénavant de se faufiler parmi nous, tout en prétendant qu’il nous quittait, tirant sur l’âne, l’exhortant, d’aller aller, il faut vite s’échapper, cette espèce est dangereuse, vite, allons-nous-en, O Ane!

‘Not so fast, mon ami,’ élancè-je enfin, le dernier en ligne: ‘Pas si vite!’ Je le retournais par l’épaule, il tenta de s’échapper: de se libérer, mais je le tenais, mon saisissement: en cet Instant, en cette Heure, sur cette colline, face à la plaie, invincible: en une seule voix, celle du silence, tel un glas, tonna notre révolte, notre cri, O métamorphoses malveillantes, une dent de moins ne masque pas la parole, l’administration de notre vision ne se terminera point sur cette note, haha, haha, hahahahaha!…

Et les pèlerins un par un s’élancèrent du sentier, étendirent les bras, levèrent les nuques, rallongèrent les troncs et comme tout à l’heure l’aigle, l’ange, survolèrent le ravin: ce ne fut que quelques moments plus tard, la troupe collectivement voltigeante, que la force des choses, la Gravité, s’avéra trop puissante: leurs mécanismes internes n’auraient pu supporter un tel défi: une chute après l’autre donc, vertigineuse, exaltante, une chute après l’autre, dans les tréfonds, dans les décombres. Car, pied à terre et redressé enfin, s’érigeait tout autour un monument célèste à la Ruine. Nul n’osait prononcer la moindre parole: on contournait la rue des martyres et on montait la pente: les façades grises, les toits éclatés, les vitres brisées, des grands trous sombres, comme les yeux creux des squelettes d’homme, ossature du pavillon des odes reconnues par ces colonnes, sur le chemin: les grandes halles ou naguère les bustes des Maîtres avaient accueilli le pauvre poète marin et ses doubles écrivains des révoltes: le faîte de cette Eglise Imaginaire, où s’élançait autrefois ce fameux funambule, magicien des lettres, théoricien assidu, offrant généreusement ce nouvel Art Poétique, négligé, évidemment, brûlé même, et banni, depuis longtemps.

On avançait lentement, une troupe dévergondée, rongée, dans la béatitude d’une Fin, dans la Détresse de l’incontournable, épris, lors de ce parcours de somnambules à travers les épaves scultpés dans l’air et sur le sol, par l’annonce tonitruante de l’arrivée prochaine, des mercenaires du Possible.

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